ET SI LES VILLES PRIVÉES ET FORTIFIÉES DEVENAIENT UNE BANALITÉ ?
Et si dans les années qui viennent nous devions voir la multiplication des villes privées et fortifiées ?
Et si c'étaient en Afrique du Sud, en Israël et au Brésil que se dessinaient un nouvel urbanisme de la peur ?
Et si les villes privées étaient une formidable chance pour faire de l'innovation urbanistique ?
Et si la première ville 100% écolo au monde était 100% privée ?
Violence, urbanizacion privada, inégalité, walled suburbs, racisme, fortified village, volonté d'entre soi, condominio exclusivo... les raisons et le vocabulaire qui accompagnent la formidable croissance des villes privées dans le monde ne manquent pas. Il faut dire que le système qui était confiné aux Etats-Unis il y a une vingtaine d'années, s'est formidablement développé et banalisé dans de nombreuses régions du globe, que ce soit en Amérique du Sud, en Inde, en Afrique du Sud, en Russie, dans les pays du Golf Persique mais aussi l'Europe Occidentale.
La croissance de ce nouvel "urbanisme de la peur" peut inquiéter et conduit - surtout en France - à une condamnation sans appel au nom d'un idéal urbain pour qui toute ville se doit d'être ouverte et lieu de la mixité sociale.
Sauf que les choses ne sont peut-être pas aussi simples et que le phénomène des villes privées est, comme l'explique très bien Stéphane Degoutin dans son livre "Prisonniers volontaires du rêve américain", plus complexe que la simple la volonté d'une riche minorité de s'isoler des autres. Aux Etats-Unis, c'est la middle class qui fait le succès des gated communities, ou dit autrement "c'est la classe majoritaire qui cherche à s'isoler des minorités du pays".
Et puis, n'est-ce pas ignorer l'histoire urbaine que de s'imaginer que les villes ont toujours été des lieux ouverts. "Ce ne sont pas les gated communities, mais au contraire la ville occidentale ouverte qui est en rupture avec la logique d'évolution des groupements humains. En effet, les villes occidentales des XIX° et XX° siècles sont presque les seules de l'histoire à ne pas être entourées par une enceinte : ces deux siècles de villes ouvertes s'opposent à six millénaires de villes fortifiées. "
Il serait donc peut-être temps de changer de regard sur ce phénomène des villes privées, et imaginer, à l'encontre de tous les a priori, qu'elles puissent être au contraire de formidables lieux d'innovations urbanistiques. Qu'est-ce qui empêche - par exemple - de penser que la première ville 100% écolo ne pourrait pas une ville privée construite pas des gens lassés de l'inaction des pouvoirs publics en la matière ?
C'est pour aborder toutes ces questions et tenter de développer une nouvelle approche des villes privées, que nous avions invité :
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Stéphane DEGOUTIN, auteur de "Prisonniers volontaires du rêve américain" (ed. de la Villette) et membre du réseau Private urban governance and gated communities, qui a fait un large panorama historique et géographique du phénomène des villes privées à travers le monde.
Il est aussi le créateur de différents sites internet sur la ville, dont le très stimulant Nogoland.
La présentation de Stéphance dégoutin est accessible dans la partie documentation.
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En introduction François BELLANGER a présenté "WALL CITY", téléchargeable en PDF ci-dessous.
USA : un phénomène banal ?
Aux Etats-Unis, quelque 20000 "villes privées" essentiellement destinées à des populations à la recherche de "sécurité" ont surgi de terre.
30 millions d'exclus volontaires
Aux Etats-Unis, le phénomène des "villes privées" n'est pas récent. C'est en effet en 1928 qu'est apparue la première de ces villes quelque peu particulière. Mais aujourd'hui le mouvement prend une nouvelle ampleur. Sous le nom de "common-interest developments" (CID) se développent chaque année près de 5 000 de ces nouvelles entités urbaines qui choisissent de se mettre à l'écart du régime commun. Déjà 12 % de la population américaine, soit 30 millions de personnes, vivent dans une de ces 150 000 communautés, et certains prévoient qu'elles seront 50 millions en 2010 à être installées dans 225 000 CID. Si certaines d'entre elles ne forment que des modestes îlots, d'autres constituent de véritables villes appelées gated communities. On en compte actuellement 20 000, soit 3 millions de logements, dont une bonne part en Floride, en Californie et en Arizona. Les raisons de la création de ces communautés, ou gated communities, sont nombreuses et connues. Historiquement elles ont surtout été constituées par et pour des populations aisées voulant s'isoler d'un environnement urbain de plus en plus dur (violence, insécurité). Aujourd'hui la middle class a accès à ces gated communities qui offrent souvent une large gamme de prix en matière de maisons, voire de logements.
20 000 ghettos dorés
Si ces ghettos dorés s'ouvrent aux différentes classes de la population, la motivation pour s'y installer demeure la même : choisir un mode de vie selon des critères bien précis et reposant sur l'exclusion des autres. Exclusion des moins de 55 ans par exemple à Sun City en Arizona, une des villes qui ne regroupe que des retraités. Dans ces conditions rien n'empêche de penser que pourraient apparaître prochainement aux Etats-Unis des gated communities fondées sur des distinction de couleur de peau, de pratiques religieuses voire sexuelles. A quand, par exemple, une gay city ? Exclusion qui ne concerne pas seulement le droit d'y habiter mais aussi la fréquentation des espaces publics. A Rancho Bernado en Californie, autre ville réservée aux seniors, les jeunes enfants n'ont ainsi pas le droit d'aller dans le centre commercial. Dans d'autres villes, les règlements intérieurs encadrent la décoration extérieure de la maison, la hauteur des haies du jardin, la couleur des rideaux visibles de l'extérieur, voire le poids maximum des chiens. Certains promoteurs ont même tenté d'encadrer le type de publications ayant le droit de circuler dans la ville, mais ils ont été condamnés par la justice. Les villes privées ne sont pas donc pas seulement des enclaves, entourées ou non de murs et de postes de contrôle, mais de véritables espaces urbains à l'écart du régime commun et ayant vocation, pour certaines d'entre elles, à régenter tous les aspects de la vie quotidienne : scolarité, police, santé... et ce, sans la contre partie d'élection et donc de vrais débats démocratiques. Mais comme l'écrit Jeremy Rifkin dans L'Age de l'Accès, " dans un CID on ne vous vend pas seulement un logement mais tout un mode de vie... ".
Mickey city
Les explications données par le patron de Disney, Michael Eisner, pour justifier la construction de la ville privée de "Celebration" près de Disneyworld, sont à cet égard tout à fait édifiantes. Dans son livre Profession magicien (ed. Grasset) , il explique vouloir " concevoir une ville " selon plusieurs principes fondateurs dont un nouveau type d'éducation pour les enfants, et un système de santé " centré sur la prévention, le diagnostic, la vie saine, le bien-être physique et mental "(sic). Des propos tendant à prouver que la constitution des gated communities dépasse largement le cadre du simple urbanisme, même si les équipes de Disney ont, de fait, très largement encadré le style architecturale autorisé des maisons (6 styles) et d'urbanisme. « Celebration » est en effet aménagée pour favoriser la marche à pied avec de nombreux services de proximité, dans la lignée du mouvement du "new urbanisme" visant à recréer l'ambiance des petites villes "où tout le monde se saluait". " On se croirait dans un feuilleton des années 50 ", écrivait Eisner pour justifier le succès commercial de « Celebration ».
François BELLANGER